Printemps 2023

Cet article est un melting pot de textes écrits durant et après les mouvements sociaux contre le projet de réforme des retraites au printemps 2023. Une sorte de journal de bord de mon anxiété. Pas la plus feel-good. J’ai hésité à le publier maintenant que c’est derrière nous. J’ai envie de laisser une trace ici. Ça a existé. J'en ai déjà parlé un peu parlé dans Lili et la vie - le retour.

Comme tu le sais, peut-être, j’habite une rue parallèle au boulevard Voltaire. L’artère des manif. Quand tu entends à la radio que les manifestants vont marcher de la Place de la République à Nation, ils empruntent le boulevard Voltaire. Ma rue peut servir de point de stationnement des CRS ou de la BRAV-M. 

J’ai été aux premières loges des violences et cela m’a beaucoup marqué. Un soir, je me suis retrouvé entre les manifestants non déclarés (après le 49.3) à Bastille et les CRS s’armant rue de la Roquette. J’ai eu très peur d’être blessée. 

Ces événements me renvoyant à d’autres violences notamment celles des attentats de 2015. 

Jeudi 19 janvier 2023 - Un après-midi de manif à Paris

Comment le gouvernement peut dire qu'une réforme est juste et équilibrée quand elle repose sur faire travailler plus les salariés les moins diplômés ?

Comment peut-il passer d'une réforme systémique en 2019 à une mesure paramétrique qu'est le recul de l'âge (non prévu à l'époque) ?

Comment peut-il passer cette réforme dans un budget rectificatif de la sécurité sociale et non dans une loi spécifique ?

Comment peut-il faire reposer une réforme des retraites sans que les cadres, les retraités et le patronat ne soient impactés ? N'est-ce pas l'électorat d'Emmanuel Macron ? J'ai voté pour lui au 2eme tour. Pas le choix.

Comment peut-il faire une réforme des retraites en parlant d'équilibre budgétaire quand il a versé des milliards d'aides publiques pendant la pandémie sans aucun contrôle ?

Comment peut-il demander aux travailleurs de faire un tel effort alors que Bernard Arnault et les plus riches n'en font aucun ?

Il faut un sacré culot ! Je n'ai pas besoin de pédagogie. J'ai bien compris que j'allais devoir travailler 176 T et non 172 tout ça parce que j'ai commencé à 20 ans tout en continuant mes études le soir. La double peine.

Je ne veux/peux plus vivre dans un pays où les inégalités sociales s'accroissent durablement.

Samedi 1er avril 2023 - Paris

Robert Rauschenberg

Aujourd’hui, je vais mieux. Je suis détendue et j’ai retrouvé de la sérénité. 

Quand il n'y a plus les mots, il y a les tableaux. 

Je viens de découvrir ce tableau de Robert Rauschenberg de 1951 composé de peinture à l'huile et de morceaux de papier journal. 

Quand je l'ai vu et que l'on me l'a présenté, j'ai ressenti une forte émotion. J'y vois ma peur viscérale.

Les débordements des dernières manifestations contre la réforme des retraites, surtout dans le 11ème, ont ravivé la peur figée le soir du 13/11.

Je ne peux plus entendre une sirène, un pétard, une déflagration, voir un policier/militaire/agent de sécurité casqué dans la rue ou dans le métro. Saturation des bruits et des images. Saturation de la violence. 

Tout a refait surface comme les cloques faites par le journal (l'actualité) sur la toile. Éruptif.

La peur a tout envahi. Plus rien n'existait d'autre. Incapable de réfléchir et d'avoir accès à ma mémoire. En insécurité permanente même dans mon appartement.

Quitter Paris, être très entourée par ma famille et voir ma psy m'ont aidée à la surmonter.

Maintenant, j'ai envie de l'enfermer entre la couche de papier journal et de peinture de ce tableau et de lui dire : "bye, bye". 

Un jour, j'irai à San Francisco voir ce tableau et je dirai à ma peur : "Tiens, t'es là, toi. Ça fait longtemps !"

Référence

Untitled [glossy black painting]

Robert Rauschenberg

ca. 1951

Collection SFMOMA

Merci à Françoise Barbe-Gall pour la découverte de ce tableau dans le cadre du cours du soir du Monde Comment regarder un tableau. Je recommande.

Vendredi 7 avril - Anglet 

C'est assise devant mon Daily Boost de chez Karabana Bar à Anglet que j'ai pris conscience d'où je revenais. Là où je m'évadais quand j'avais peur. A Pâques, j'y serai 🤞

Depuis quelques jours, je vais mieux mais cela reste très précaire. Je pleure à chaque fois que je vois des policiers, la RATP ou SNCF sûreté, les soldats de vigipirate et les CRS devant la synagogue de mon quartier. Malheureusement, je croise souvent ces groupes. Quand je les vois, j'ai peur et je me sens en insécurité.

Cette séquence politique m'a fracassée. Je me retrouve à devoir travailler plus longtemps et avec des séquelles.

Oui vivre proche du bd Voltaire, c'est vivre dans un haut lieu de la contestation sociale. Le bon vieux République -> Nation. Ça fait partie de l'art de vivre comme les coffee shop, les épiceries, les resto vegans, les bars, les produits bio et les délicieux resto mais cette année le prix à payer a été très très cher. En dehors des manif, je recommande +++.

Ici à Anglet, entre les surfeurs, les sauveteurs et les bonnes adresses, je sais que je suis au bon endroit pour trouver la paix et le calme.

Mercredi 10 mai - Paris

Je savais que le début de l'année serait difficile mais pas à ce point. Je savais que le projet de réforme des retraites n'allait pas passer crème mais je ne pensais pas qu'il me secourait à ce point et qu'il me faudrait du temps pour m'en remettre, qu'il faudrait m'extraire de Paris plusieurs jours pour reprendre pied et recommencer.

Les derniers mois ont été chaotiques. J'ai dû faire face à beaucoup de violence dans mon quartier. J'ai eu peur et j'ai paniqué plusieurs fois. En mars, je ne suis plus allée aux manifs. Je me suis retrouvée en état d'anxiété généralisée.

Grâce au livre Paris, Boulevard Voltaire de Michèle Audin à l'Arbalète, j'ai compris que mon quartier était un instrument de violence policière. Que le boulevard Voltaire rectiligne de trois kilomètres a été construit pour cela. Ça aide, ce n'est pas une simple sensibilité exacerbée.

Avec du recul, j'ai découvert que j'avais envie de m'engager pour un changement des plans de maintien de l'ordre en France. Que c'était un des sujets qui me préoccupait le plus. 

Que vouloir manifester en sécurité doit être un droit fondamental. Aujourd'hui, j'ai autant peur de la police que des casseurs. Je ne suis pas du tout en phase avec ce déploiement surdimensionné de forces de l'ordre à chaque manifestation, que l'un alimente l'autre. 

Selon un article du journal Le Monde publié le 14 avril 2023, nous sommes dans les pays européens à ne pas avoir revu nos schémas de maintien de l'ordre pour une désescalade de la violence. Nous n'avons pas voulu participer au groupe de travail européen !?!

Sur le terrain, à chaque nouvelle manifestation, on a vu le nombre de CRS augmenter. L'épuisement reconnu chez les forces de l'ordre est aussi problématique car il peut entraîner des pertes de contrôle et de sang froid quand ils sont poussés à bout. J'ai aussi été ravagée de voir mon quartier abîmé par les casseurs. 

Voilà ce qui me taraude depuis des semaines. Voilà ce qui me constitue en ce moment. Si vous avez des reco lectures, je suis intéressée.

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